Un rapport des Nations-Unies sur les perturbateurs endocriniens
appelle à une réforme profonde de la gestion des produits chimiques
Avec plusieurs mois de retard sur l’échéance initiale de parution[1], le rapport conjoint de l’Organisation Mondiale pour la Santé (OMS) et du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE), « State of the science of endocrine disrupting chemicals », a été publié aujourd’hui lors d’une conférence de presse à Nairobi. Le rapport, qui constitue la somme la plus complète sur les perturbateurs endocriniens (PE) parue à ce jour, désigne la perturbation endocrinienne comme une « menace mondiale » pour la santé humaine et l’environnement.
S’il pointe les lacunes de connaissances et les efforts considérables de recherche nécessaires pour comprendre tous les mécanismes à l’œuvre derrière la perturbation hormonale, le travail des experts de l’ONU souligne l’importance des preuves scientifiques accumulées sur le rôle des PE derrière plusieurs tendances sanitaires alarmantes comme les cancers du sein, chez la femme, ou de la prostate, chez l’homme, les troubles neurocomportementaux comme l’hyperactivité ou le déficit d’attention, les maladies métaboliques comme le diabète de type 2 et l’obésité et les problèmes de l’appareil de reproduction, testicules non descendus et infertilité.
Pour André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé, « la question n’est plus de savoir si cette épidémie de maladies chroniques est liée aux perturbateurs endocriniens mais à quel point ces derniers y contribuent et quel est le coût humain et social de chaque jour perdu à ne pas prendre le problème à bras le corps ». Le rapport s’adresse d’ailleurs aux décideurs du monde entier, en sus de la communauté scientifique qui détient là une base pour enfin accorder ses violons. « Il est certain que la recherche scientifique est en première ligne et qu’il est de toute priorité de lui accorder les moyens financiers et humains de répondre à toutes les questions mais c’est à l’action des décideurs qu’invite l’adresse du rapport des Nations-Unies. Il valide ainsi à posteriori la position de la France sur le bisphénol A. Nous encourageons donc le gouvernement français à aller plus loin en élaborant une Stratégie Nationale sur les PE ambitieuse et tournée vers l’action. Il lui faut aussi convaincre ses partenaires européens de bousculer une Commission européenne retranchée dans son idéologie du marché avant tout[2] ».
Sur les moyens de l’« action », le rapport est sans ambiguïtés ; il s’agit de résoudre les aberrations historiques d’une gestion impropre des substances chimiques : pesticides, additifs, rejets industriels et polluants de la chaîne alimentaire, l’ubiquité des PE reflète la crise générale de la chimie. « La réglementation Reach a entamé un travail de réforme mais, en partie sapé par les lobbys, il est incomplet et trop lent. Il est temps de retourner le problème dans le bon sens et de partir du droit à un environnement et à un corps vierges de substances industrielles pour donner une nouvelle mission historique à la chimie. L’industrie chimique doit prendre ses responsabilités et rebondir : cela ne signifie pas la mort de la chimie mais au contraire un nouveau départ dans une direction conforme avec la santé publique, la santé des travailleurs et la protection de la biodiversité » affirme Yannick Vicaire, chargé de mission au RES.
Le rapport rappelle enfin les enjeux environnementaux des perturbateurs endocriniens, fortement suspectés dans l’effondrement des populations de plusieurs espèces animales, de longue date attribué à la pollution organique persistante sans qu’on en comprenne auparavant les mécanismes. « La SNPE française et les travaux en cours de l’UE ne doivent pas oublier la question écologique ; nul n’est dupe du jeu des lobbys agrochimiques à tenter de dessiner sur mesure une définition réglementaire des perturbateurs endocriniens qui n’entame pas trop leurs intérêts » avertit Yannick Vicaire, « il n’y a pas d’issue pour l’humanité au sein d’une biodiversité en déclin ».
[1]. Il était initialement attendu pour servir les travaux de la 3eme conférence internationale sur la gestion des produits chimiques (SAICM) de septembre 2012.
[2]. Une réunion du groupe de travail de la Commission européenne sur les PEs’est tenu le mercredi 20 février