Nous relayons l’interview d’Elisabeth Ruffinengo chargée de mission au WECF notre partenaire) dans la revue Égalité du 18 juillet 2012.
De plus en plus de jeunes filles et de femmes sont aujourd’hui touchées par les troubles de la santé et particulièrement de la santé reproductive.
Des substances chimiques de synthèse, appelées « perturbateurs endocriniens » sont mises en cause dans la rapide augmentation de pathologies telles que l’infertilité, la puberté précoce, le cancer du sein ou l’obésité, au cours des dernières décennies.
Les substances toxiques contenues dans les produits d’usage courant menacent-elles notre santé ? De nombreuses substances chimiques de synthèse sont présentes dans les produits de consommation quotidiens. Parmi les 100 000 substances autorisées sur le marché européen, un certain nombre d’entre elles ont des effets potentiellement dangereux pour la santé. Des substances aux effets cancérigènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction (CMR), neurotoxiques, perturbateurs endocriniens, allergènes sont aujourd’hui répertoriées. Certes, leur usage est parfois interdit ou limité, mais l’action des pouvoirs publics est souvent bien tardive par rapport à la publication des données scientifiques. Par exemple, les données sur le bisphénol A, interdit en 2011 dans les biberons par l’Union européenne, existent depuis plusieurs décennies déjà. De nombreuses substances dont les effets néfastes sont documentés continuent aujourd’hui à être utilisées dans des produits aussi divers que les cosmétiques, les vêtements, les ustensiles de cuisine, les produits de décoration, le mobilier… et jusque dans l’alimentation.
Récemment, l’ONG Pan-Europe (Pesticids Action Network) a réalisé des tests sur des fruits et légumes et établi le Top 10 des fruits et légumes les plus contaminés par des pesticides aux effets de perturbateurs endocriniens. C’est donc notre environnement qui est contaminé sur le long terme, puisque certaines de ces substances sont persistantes. Nous sommes donc toutes et tous exposés quotidiennement à un véritable cocktail de polluants, dont nous ignorons les effets. Quels peuvent être les effets sur la santé humaine des perturbateurs endocriniens ?
Où les trouve-t-on plus particulièrement ? Dans quelle mesure les femmes sont-elles plus vulnérables face à ces produits ?
Les perturbateurs endocriniens déséquilibrent le système hormonal. Ils peuvent par exemple imiter l’action des hormones naturelles ou bloquer leur action. Leurs mécanismes d’action sont très complexes et ils agissent à de très faibles doses. Ils sont mis en cause dans les troubles de la reproduction ou du système immunitaire, l’infertilité, la puberté précoce, le diabète, l’obésité, les cancers hormono-dépendants comme le cancer du sein. Les perturbateurs endocriniens sont présents dans une grande variété de produits. Difficile d’en stigmatiser un en particulier puisque les données évoluent sans cesse. Le bisphénol A est par exemple utilisé dans les revêtements internes de boîtes de conserve et dans les contenants alimentaires. Les pesticides aux effets de perturbateurs endocriniens sont présents dans l’alimentation. Des composants de teintures pour cheveux, des filtres UV ou des conservateurs, comme certains parabènes présents dans les cosmétiques, sont aussi connus pour leurs effets de perturbateurs endocriniens. Une coalition d’ONG menée par ChemSec, dont est membre WECF, a établi en 2011 une liste de 22 perturbateurs endocriniens à réglementer d’urgence : tous répondent aux critères de substitution des substances les plus préoccupantes de la règlementation européenne sur les produits chimiques (REACH). Si les effets des perturbateurs endocriniens ont d’abord été mis en évidence chez l’homme – en particulier en termes de baisse de la qualité du sperme – on sait aujourd’hui qu’ils portent également atteinte à la santé des femmes. Parce que la vie reproductive des femmes est jalonnée d’étapes (puberté, grossesse, ménopause) dans lesquelles les hormones jouent un rôle-clé, elles sont particulièrement vulnérables aux perturbateurs endocriniens.
En 2008, 18 scientifiques de renommé internationale se sont réunis sous l’égide de l’ONG américaine Collaborative for Health and the Environment pour examiner les données scientifiques sur les liens entre perturbateurs endocriniens et santé reproductive des femmes. Leurs travaux ont fait l’objet d’une publication Girl Disrupted, dont WECF prépare l’adaptation en français pour octobre 2012.
La femme enceinte et le fœtus sont-ils plus vulnérables face aux polluants environnementaux ? Oui, les scientifiques sont unanimes : la période de développement fœtal est une « fenêtre critique de sensibilité », une période identifiée comme particulièrement vulnérable face aux atteintes environnementales. Car le bon déroulement des étapes du développement fœtal conditionne bien souvent la santé future de l’individu. Les polluants traversent la barrière placentaire et exposent donc directement le fœtus. Des changements infimes dans les messages envoyés à l’organisme en développement pendant cette période peuvent avoir des effets graves et à long terme. Le scandale du DES (diethylstilbestrol – Distilbène®) est considéré comme un cas d’école pour l’étude des perturbateurs endocriniens. Prescrit à des milliers de femmes à partir des années 1950 pour éviter les cas d’avortement spontané, le DES est une hormone de synthèse à activité oestrogénique. C’est des années plus tard, lorsqu’une forme rare de cancer de l’appareil reproducteur a été diagnostiquée chez les « filles du DES », dont les mères ont consommé du DES au cours d’une certaine période de la grossesse, qu’on a mesuré les effets de ce médicament. Le DES aurait même des effets sur la santé des petits-enfants des femmes l’ayant consommé pendant la grossesse. Le système hormonal peut-il subir des modifications à cause des substances toxiques ? Les hormones agissent à des doses infimes. Toute modification extérieure peut donc porter atteinte au fragile équilibre hormonal. Un mauvais signal, envoyé au mauvais moment et à la mauvaise cible pourra donc avoir des conséquences importantes. Par ailleurs, le système endocrinien est très complexe, et les mécanismes d’action des perturbateurs endocriniens également. Car contrairement à d’autres substances toxiques, la règle de « la dose fait le poison » ne s’applique pas aux perturbateurs endocriniens. Pour certains d’entre eux, comme le bisphénol A, des doses faibles ont plus d’effets que des doses élevées. De même, on ignore encore les effets des expositions multiples à des polluants multiples : c’est pourtant bien ce qui caractérise la réalité des expositions des populations. Malgré l’absence de certitudes sur de nombreux points, les scientifiques insistent aujourd’hui sur la nécessité d’agir sur les substances aux effets connus, et de réglementer les autres de manière stricte dans une optique de précaution.
Si on ne peut pas avec certitude établir un lien de causalité entre une substance déterminée et une pathologie précise, on sait que les perturbateurs endocriniens contribuent à l’augmentation de nombreuses maladies.
Les phtalates que l’on trouve dans un certain nombre de produits de consommation ont-ils des effets néfastes sur le système reproducteur des femmes ? Sont-ils la cause de l’infertilité des hommes et des femmes ? Les phtalates sont une famille de composés présents dans de nombreux produits de consommation. Dans l’Union européenne, trois phtalates (DEHP, DBP et BBP) sont interdits dans les jouets, trois autres (DnOP et DiDP et DiNP) sont interdits dans les jouets destinés à être mis à la bouche. Le DEHP est par exemple mis en cause pour ses effets sur le système reproducteur. A cause de leur utilisation comme assouplissants du plastique ou encore comme fixateurs de fragrances, les phtalates sont en effet très présents dans notre quotidien.
Tout récemment, une étude danoise a établi un lien entre des concentrations urinaires élevées de phtalates chez 725 jeunes filles âgées de 5 à 19 ans et un retard de la pilosité pubienne, suggérant une action anti-androgénique des phtalates. Il est en revanche impossible de dire que les phtalates sont la cause de l’infertilité féminine ou masculine, mais on peut affirmer qu’ils y contribuent.
Les femmes des pays industrialisés sont-elles plus exposées au risque d’un cancer du sein ? Dans les pays industrialisés, le diktat des canons de beauté contribue à une forte consommation de produits cosmétiques, l’une des classes de produits identifiée comme contenant des perturbateurs endocriniens. Leur consommation à outrance contribue à augmenter l’exposition aux perturbateurs endocriniens. Certaines données américaines sont formelles : les taux de cancer du sein des femmes immigrées issues de pays non industrialisés rattrapent rapidement ceux des femmes des pays industrialisés en une ou deux générations. Mais la tendance pourrait bien changer, car les données mondiales officielles estiment que la progression des maladies chroniques dont le cancer du sein dans les pays non industrialisés, loin d’être épargnés par les pollutions environnementales, rattrapera d’ici une vingtaine d’années les chiffres des malades infectieuses, faisant des maladies chroniques la première cause de mortalité dans les pays non industrialisés. En réalité, une double peine risque de peser sur les femmes atteintes de cancer dans les pays du Sud : malades, elles devront également faire face à la difficulté voire l’impossibilité d’accès aux soins dont souffrent les populations sur place. C’est pour cela que la prévention primaire est la seule voie réellement efficace pour l’avenir. Comment se prémunir de tous ces risques liés aux polluants ? Il faut protéger la santé des plus vulnérables en appliquant les principes de prévention des risques connus et de précaution face aux risques émergents. Dans ce cadre, protéger la santé des femmes en âge de procréer, des enfants et des femmes enceintes est primordial.
Des choix simples peuvent permettre de réduire significativement l’exposition aux perturbateurs endocriniens.
Le choix d’une alimentation biologique ou de produits non transformés issus d’une agriculture locale et non consommatrice de pesticides, l’utilisation de cosmétiques labellisés sans certains ingrédients problématiques ou une bonne aération de la maison sont autant de pistes d’action.
WECF, dans le cadre de ses ateliers Nesting, propose justement une démarche pédagogique et interactive qui permet aux participant-e-s de connaître certaines substances et de réfléchir aux alternatives bénéfiques pour la santé et l’environnement.
Interview d’Elisabeth Ruffinengo, chargée de mission plaidoyer au WECF (Women in Europe for a Common future – Femmes en Europe pour un avenir commun)
Propos recueillis par Marina Corvillo – EGALITE
Quand la chimie menace la santé des femmes
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