Michel Desmurget qui dirige, au CNRS, une équipe de recherche sur la plasticité cérébrale, vient de publier : “ La Fabrique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants” .
Pour cela il se fonde sur la littérature scientifique disponible et détaille les effets de l’omniprésence des outils numériques sur la cognition, le comportement et le bien-être des enfants.
Il dénonce le temps passé devant les écrans par les jeunes et ceci même pour les plus petits : il déclare:” Le temps d’écran n’est pas seulement excessif, il est extravagant’.
Aux Etats-Unis, on est à près de trois heures par jour à 3 ans, quatre heures quarante entre 8 et 12 ans et six heures quarante entre 13 et 18 ans.
En France, les enfants de 6 à 17 ans passaient en moyenne, en 2015, quatre heures et onze minutes par jour devant un écran, selon l’étude Esteban menée par Santé publique France. D’autres données diffèrent un peu, mais elles sont toutes dans des fourchettes équivalentes, et, dans tous les cas, dans des proportions très élevées. Seulement 6 % à 10 % des enfants ne sont pas touchés. Alors que les écrans sont devenus la première occupation des enfants et adolescents, bien avant l’école, les alertes des scientifiques et professionnels se succèdent et mettent en garde contre les excès : surpoids, troubles du sommeil, myopie, résultats scolaires en baisse, retard de langage, troubles de l’attention et du comportement, déprime…
Selon Michel Desmurger, le constat est clair, le cerveau des enfants n’est pas fait pour être autant exposé aux écrans : “C’est un danger général qui touche tous les facteurs de développement, ça touche le développement intellectuel, le langage, l’attention, la mémorisation, le développement émotionnel et social.”
Le point de départ de certaines recherches concernant nos changements environnementaux (éducation, nutrition, pollutions diffuses, écrans, etc.) permette de constater une baisse des capacités cognitives des dernières générations, plus précisément depuis le milieu des années 1990. « Depuis 2000, c’est la première fois que le QI commence à descendre », affirme ainsi Michel Desmurget.
Est-ce le temps passé devant les écrans qui diminue les capacités cognitives ? Est-ce que les enfants ayant des capacités cognitives plus limitées que les autres sont plus attirés par les écrans ? « Ce qui est sûr, c’est que les écrans sont un facteur de risque de sédentarité ; pour le reste, on ne sait pas trop… En épidémiologie, il faut beaucoup de temps et d’efforts pour prouver la réalité d’un facteur de risque d’effet potentiellement faible. Or, nous ne sommes pas dans une situation où nous pouvons conclure… d’autant que les tests, normés, n’évoluent pas alors que les cohortes, elles, évoluent », estime le professeur Bruno Falissard, directeur du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations de l’Inserm.
Le directeur de recherche à l’Inserm en profite aussi pour démonter le mythe des “Digital Natives”, la génération qui a grandi en même temps que le développement d’Internet, une légende urbaine selon lui : ” C’est un mythe bien pratique, ça permet de dire “ils apprennent, ils savent différemment”, quand on regarde, effectivement ils savent utiliser des applications , mais ce n’est pas parce que vous savez utiliser des applications ou des jeux que vous savez utiliser tout ce que le numérique peut avoir de positif.
Une étude publiée dans la revue scientifique Nature en mai 2017 a également montré que les tout-petits (de 6 à 36 mois) exposés aux écrans en fin de journée ont une durée de sommeil significativement plus courte du fait de la lumière bleue émise par les smartphones et tablettes. Cette dernière affecte la synthèse de mélatonine, une hormone jouant un rôle important dans le mécanisme du sommeil.
D’où la nécessité, lorsqu’il s’agit d’édicter des recommandations par rapport à l’exposition aux écrans, de distinguer les activités (programmes conçus pour les enfants ou pas, éducatifs ou récréatifs, etc.), le temps passé , les périodes dans la journée, et le contexte (enfants seuls ou accompagnés).
“ La Fabrique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants” (Seuil, 425 pages, 20 euros).